24/02/2010

L'heureux venant....






Réveil matin, quand la vie nous ramène de loin
le rêve en lambeaux sur le mur s’accrochant à l’instant
incertains,
puis s’évaporent lentement sous la pluie
comme s’envolent nos espoirs d’un meilleur lendemain
dilués à l’ennui de nos passes temps à rien faire
spectres diurnes
nous hantions le bout de la rue
dérisoires éphémères…..

- « Tiens, un revenant ! » Hulule Momo de sous son suaire, un k-way jaune de pêcheur rapiécé de rustines briques.

Abdel tout échevelé et qui avait déserté le mur depuis plus de jours qu’il n’en avait l’habitude, s’approchait émanant du brouillard de sa démarche particulière… On aurait dit qu’il était monté sur ressorts …

- « C’est vrai qu’il fait vachement spectre… » rebondis-je sur la Momoesque expression

Un jean rapiécé, pantoufles effilochées, la chemise boutonnée de travers avec une manche repliée et l’autre pendante, masquant sa main…

- « Le retour de la momie ! » s’esclaffe le Momo

Rires canins des enfoirés de copains que nous étions, que nous sommes encore et que nous allions sans doute rester pour un bout de temps…

La brume matinale enrobait la scène d’une aura fantomatique…

- « Têhté pahcéhou » (en Egyptien ancien dans le texte) questionnais-je le ressuscité…

- « Laisse tomber lambda…ça serait trop tarte à raconter… »

Un sourire béat redessinait ses lèvres…Je respectai son silence…et le tartre sur ses dents….

Adossés au mur, en silence, nous taffions goulument nos cigarettes dont la braise réchauffait un instant nos bouts du nez dans la froide grisaille du matin, entourant d’un halo nos figures déjà assez pâles…

- « bessmellah errahman arrahim ! »

Moui Aïcha , surgissant du brouillard et qui n’en ratait jamais une à chacun de ses passages impromptus….

- « ki jnouns…3la guenss !»

Elle tire sa djellaba, pachydermique, en faisant mine de cracher dans l’échancrure de son col….reflexe pavlovien de la parfaite superstitieuse….

- « Pavlovien…t’en as de bonnes Lambda, moi j’aurais dit précambrien…ouala plutôt jurassique comme réflexe…Tfou ! j’arrive pas à expliquer comment un Mammouth peut débouler comme ça, sans faire de bruit …te manque juste la queue, la trompe, tu l’as déjà » lui acide le Momo…

L’éléphante, aussi subrepticement qu’elle était apparue, disparut dans la jungle urbaine, laissant flotter un instant l’écho d’un dernier « oueld essouq » que la brume ne tarda pas à engloutir dans son sillage…

Plouf !

Taffes et volutes qu’un ange de passage disperse dans le gris du ciel…

Momo, que la curiosité grattait jusque dans le blanc injecté de rouge de ses yeux bleus (Marianne est tenace), jetait des regards en coin à un Abdel qui semblait flotter dans je ne savais quel rose nuage….

Le mariole se penche vers moi et me glisse à l’oreille :

- « chai pas où il était mais il semble revenir de loin…non ? »

Je me penche à mon tour et contemple un instant le con tant platif abdel puis me rétracte contre le mur…

Je tire une longue taffe et louche sur la fumée s’élevant lentement de mes narines…

Momo piaffe d’impatience…

Je feins l’air intrigué et me penche vers mon énergumène de pote qui tend rapidement son oreille vers moi en écarquillant les yeux, prêt à recueillir ma secrète impression…

- « t’as raison…c’est bien un revenant…. » lui chuchotais-je, laissant planer un instant la suspicion d’une probable suite…

- « et alors ? » s’inquiète le curieux…

Je tire une longue taffe et prend un vicieux plaisir à rejeter lentement la fumée d’une seule narine…

- « et aloooors » se réinquiète de plus en plus curieux….

- « tu sais quoi ?… Un revenant ! ben comme ça, tout court, cette expression qualifie en général dans son sens premier le désigné ainsi de « mort »… un mort se manifestant sous une forme ectoplasmique plus communément appelée « fantôme »… »

Et je pars d’un houuu houuu en dansant des bras tout en roulant des yeux….

Je vois se dessiner deux choux blancs de dépit dans les yeux de Momo dont les sourcils s’affaissent.

- « ce que tu peux être con des fois lambda…quoique de chez les morts, malgré toutes les histoires que l’on nous raconte, ben je n’en ai jamais vu un revenir… »

- « tiens ce n’est pas con ça Momo ! »

Je phosphore un instant…puis remise…

- « Un revenant de loin par contre, je ne sais par quelle myopie syntaxique cette expression en arrive à qualifier le désigné ainsi d’un miraculé ayant échappé à la mort de justesse…. »

L’arc des sourcils de Momo se rehausse d’un cran…

- « Bon là faut que je comprenne tout de même. Si je récapitule donc : un revenant de je ne sais d’où, dont on ne connaît donc pas l’origine, c’est donc systématiquement un mort. Par contre quand il revient de loin c’est un vivant…qui a failli mourir certes mais bien vivant quand même. Par déduction logique on ne peut que faire ce constat :la mort, ben elle n’est jamais très loin !…. »

- « tout a fait Momo…tout à fait… »

Rires enfantins…

On regarde Abdel…toujours l’air absent revivant en boucle nous ne savions quelle épisode extra-muros….Bizarre, lui qui raffolait de ce genre de discussion prise de tête…rien cette fois ci…la cata totale…

Je tentai une nouvelle amorce…

- « tu sais quoi Momo… » en élevant un petit peu plus la voix pour qu’Abdel m’entende « Un bon vivant c’est quelqu’un qui rit souvent et malgré l’apparence bénigne de cette forme d’expression de bonne vie il reste quand même en grand danger de mort subite… »

Un deuxième cran dans l’élévation sourcilière Momesque…

Je lui adresse un clin bien appuyé…

- « Ben oué » continuais-je, « ça ne t’es jamais arrivé à toi de mourir de rire ? pourtant tu en es toujours revenu n’spa ? »

Pauvre Momo dont les sourcils retrouvèrent le ground zéro…il venait de piger mon stratagème et cherchait désespérément une réplique dans le mood…

- « euuh…oué…c’est un peu compliqué ce truc tout de même. Des vivants pas mort qui reviennent, des morts vivants qui reviennent de près…ben oui puisque apparemment ils ne reviennent pas de loin, des bons vivants qui meurent sans vraiment mourir… Tant de bien et bon vivants sont morts de rire … »

Je le regarde ma gueule fendue d’un large sourire de totale satisfaction. Brave Momo ! que ne ferait-il pour ses potes…

- « eh attends !… » Renchérit le chéri, « il n’y a pas que le rire qui tue…tiens ! La peur aussi pardi !…n’est ce pas que ça t’es surement arrivé à toi aussi lambda de mourir de trouille… »

- « moué… » dubitativais-je… « quoique la dernière expérience que j’ai vécu de cette mort particulière se limita à me faire perdre mes eaux dans mon froc…si c’est ça la mort ben ce n’est pas si tragique que ça »

Rires canins dont les warfs ne semblaient avoir aucun mordant sur Abdel

On s’accroupit chacun d’un côté d’Abdel, assis à même le sol, adossé au mur, les jambes étendues devant lui. Momo lui enfonce l’index dans la joue poussant sa tête vers moi. Le zombie se laisse faire le sourire béat toujours affiché aux lèvres. Je fais de même de mon côté. Sa tête dodeline de l’autre côté…

Paf !

Momo lui fout une claque…

C’est seulement là qu’il tourne la tête vers lui et lui murmure « je suis amoureuuux!… »

« Awwwah !…de qui encore ? »

- « Une revenante…»

- « une morte de rire tu veux dire ? car vu ta gueule…» fait Momo

- « elle revient de loin ? » questionnais-je à mon tour

Il retrouve soudainement tout son sérieux et nous regarde comme s’il venait de nous voir pour la première fois

- « mais qu’est ce que vous racontez les gars…c’est la fille de nos anciens voisins. Il ont quitté le derb voila déjà une bonne dizaine d’années…zétiez trop jeunes pour vous en rappeler.. »

comment qu’elle s’appelle ? » demande un Momo intéressé

- « Aïcha ! » et il repart dans sa rêverie…

- « Quandisha ??? »

- « edderbek incha3allah !!!» barrit le mammouth ressurgissant du brouillard et prenant l’invective à son adresse…

Un rayon de soleil perçant la brume matinale réfléchit la clarté de nos rires qui montaient au ciel…

Le temps tourbillonnait insouciant,
égrenant avec douceur le clair obscur de nos peurs
comme s’écoulaient les beaux jours
à l’heureux venant….

© Lambdaoui

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